lundi 5 décembre 2011

De la monnaie unique à la monnaie commune européenne


Point de vue | LEMONDE.FR | 05.12.11 | 09h49   •  Mis à jour le 05.12.11 | 09h49
par Nicolas Dupont-Aignan, député de l'Essonne, candidat à la présidentielle de 2012

En effet, rarement le fossé n'aura été aussi grand entre les décisions prises au sommet et celles que réclame pourtant le bon sens économique. Jamais les élites européennes n'auront semblé aussi incompétentes, coupées de la réalité du désastre qu'elles produisent dans les économies nationales. Et jamais le déni n'aura été aussi gigantesque parmi ceux qui professent depuis vingt ans les recettes du passé dont la faillite est aujourd'hui totale.
Quelle meilleure preuve d'ailleurs que la nomination – non pas l'élection ! – de trois techniciens à la tête de la Banque centrale européenne (BCE), de l'Italie et de la Grèce ? Des nominations saluées par les marchés et l'intelligentsia européenne, alors qu'elles représentent pourtant un scandale démocratique et une aberration économique (qui risque d'ailleurs d'être fatale à l'Union européenne). Ainsi, Mario Draghi a été responsable pour Goldman Sachs de la division chargée des risques souverains des Etats. Avec le succès que l'on sait. Le nouveau président du Conseil italien, Mario Monti, est quant à lui depuis 2005 "international advisor" de cette même banque d'affaires. Enfin, Lucas Papademos était le responsable de la Banque centrale grecque qui a maquillé, grâce aux montages frauduleux de la même Goldman Sachs, les comptes du pays pour l'aider à entrer dans la zone euro. En clair, les pyromanes responsables de l'incendie de la crise de la dette prennent aujourd'hui le pouvoir en revêtant les habits avantageux du pompier. Mais bien sûr, l'imposture est totale, un peu comme lorsque Pétain prétendait protéger les Français face à l'occupant allemand en signant la reddition.
Lorsque j'ai été parmi les premiers avec les regrettés Philippe Séguin et Maurice Allais, prix Nobel d'économie, à expliquer l'absurdité de la monnaie unique pour des économies si différentes, on nous opposait les succès à venir. Puis, face à la déroute économique, on nous a fait le coup du rôle "protecteur" de l'euro dans la mondialisation. Plus récemment, les experts brandissaient encore contre la sortie de l'euro la menace de l'inflation des taux d'intérêts et de l'austérité. Sauf que l'explosion des taux d'intérêts et l'insoutenable rigueur, c'est justement ce que subissent les peuples européens à cause des plans de "sauvetage" de la zone euro !
Aujourd'hui, il faut avoir le courage d'avouer que le prétendu "sauvetage" de l'euro – à savoir le sauvetage d'un instrument économique qui ne fonctionne pas et qu'il faudrait au contraire modifier – n'a pas d'autre but que de sauver la mainmise des marchés sur la dette des Etats. Et pour cause : une sortie de l'euro serait synonyme de liberté monétaire pour les Etats, et donc de la possibilité de se financer auprès de leurs propres banques centrales à taux zéro ! En clair, la fin du monopole des banques privées sur la dette des Etats. La fin d'un jackpot amoral, juteux et sans risque.
Or, le retour de la planche à billets des banques vers les Etats ne serait que justice puisque, comme le soulignait Maurice Allais, "par essence la création monétaire ex nihilo que pratiquent les banques est semblable, je n'hésite pas à le dire pour que les gens comprennent bien ce qui est en jeu ici, à la fabrication de monnaie par des faux-monnayeurs (…) Concrètement elle aboutit aux mêmes résultats. La seule différence est que ceux qui en profitent sont différents."
Lorsqu'on sait que la charge des intérêts de la dette dépasse les 50 milliards pour la France et les 90 milliards pour l'Italie, on ne peut qu'imaginer le formidable ballon d'oxygène que représenterait une reprise en main de la création monétaire par l'Etat, pour peu que sa maîtrise soit intelligemment orientée vers l'investissement productif, afin de limiter l'inflation tout en favorisant la relance.
C'est en tout cas ce que permettrait le passage en bon ordre de la monnaie unique vers une monnaie commune européenne. Avec l'euro mark, l'euro franc, ou l'euro livre, chacun des pays disposerait d'une monnaie adaptée à sa compétitivité. Le maintien d'un système monétaire européen permettrait à échéance annuelle de fixer les parités. A terme l'Angleterre et la Russie pourraient s'y joindre. Une sortie de l'euro par le haut qui aurait en outre la vertu de sauver la belle idée européenne, une belle idée que les institutions communautaires devenues folles sont en train de massacrer au choix pour de sombres raisons d'intérêt ou par pure incompétence.

Le Monde 5 décembre 2011

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