Par Gérard Lafay, Professeur émérite à l’Université Panthéon-Assas Paris I
Nos compatriotes s’inquiètent de la crise répétitive de l’euro, dont ils ne comprennent pas la cause. Les gouvernants des pays de la zone, jugeant démagogique son abandon, imposent une accentuation de la rigueur. Qu’en est-il réellement ?
L’abandon éventuel de l’euro se traduirait d’abord par le rétablissement des monnaies nationales. En France, par exemple, il faudrait ainsi créer un franc nouveau, non pas en revenant à celui qui existait avant 2002, mais en échangeant un euro existant contre une unité de cette nouvelle monnaie. Tous les prix resteraient inchangés à la date de cette conversion. Pour les billets, il suffirait d’une courte période de transition. Pour les pièces, l’échange pourrait se faire très vite puisque celles-ci comportent déjà une face nationale. Une opération de ce type est plus facile que celle qui avait été effectuée, dans l’autre sens, pour passer à l’euro en 2002, où il fallait alors opérer une division par 6,55957.
On doit reconnaître que l’abandon de l’euro aurait un inconvénient : celui de compliquer quelque peu les formalités des touristes. Cependant, à l’intérieur de notre pays, les changements seraient purement formels. Pourquoi dès lors un tel abandon ? Pour rétablir la compétitivité, qui signifie que les coûts salariaux ne sont pas trop élevés par rapport à ceux qui existent à l’étranger. La compétitivité d’une économie nationale assure alors son équilibre extérieur tout en autorisant une croissance suffisante de sa production.
Deux raisons expliquent ainsi la crise de l’euro. D’une part, à l’intérieur de la zone, les taux d’inflation ont fortement divergé depuis sa création D’autre part, depuis que Jean-Claude Trichet a succédé à Win Duisenberg à la tête de la BCE en 2003, la surévaluation a fait de l’euro la monnaie la plus chère du monde.
La perte de compétitivité se traduit par la délocalisation des activités industrielles et la faiblesse du rythme de croissance. Elle est également la cause principale de l’endettement. Dans la confusion des esprits, on ne parle pas de la dette extérieure, en n’incriminant que le déficit budgétaire. Certes, il est nécessaire de réduire celui-ci, mais sa résorption ne permettrait en aucune façon de retrouver la compétitivité, dont le rétablissement ne peut résulter que d’une dévaluation de la monnaie. Tant à l’intérieur de la zone que vis-à-vis de l’extérieur, celle-ci implique fatalement l’abandon de l’euro.
L’expérience prouve qu’une dévaluation réussie n’est pas synonyme de laxisme, car elle implique au contraire une politique rigoureuse. En assurant le retour de la compétitivité, elle seule permet de redresser une économie. Pour la refuser, nos gouvernants mettent en avant deux arguments : celle-ci engendrerait à la fois un dérapage de l’inflation intérieure et une augmentation de l’endettement extérieur. Est-ce vrai ?
Il est de fait que toute dévaluation nominale se traduit, automatiquement, par un renchérissement des produits importés. Néanmoins, dans le cas de la France, la dévaluation n’affecterait pas les prix des produits en provenance des autres pays de la zone euro, car la valeur relative du franc resterait grosso modo inchangée dans cette zone : la dévaluation vis-à-vis du mark allemand serait compensée par une réévaluation par rapport aux monnaies du sud de l’Europe.
Il est vrai que, vis-à-vis du reste du monde, la dévaluation entraînerait une hausse des prix des importations. Mais comme de telles importations, hors zone euro, ne représentent que 12 % du PIB, le surcroit d’inflation intérieure ne serait que de de l’ordre de 3 % pour une dévaluation de 20%. Un tel résultat, qui implique de supporter un appauvrissement réel, n’est pas négligeable. Mais on voit également qu’il ne porte que sur une seule année. Dès les années suivantes, il serait plus que compensé par le retour de la croissance économique.
La valeur des dettes extérieures françaises, consenties en euros, augmenterait-elle avec la dévaluation du franc ? Ce serait vrai si la France quittait unilatéralement l’euro. En fait, l’amplification de la crise va rendre inéluctable sa disparition, qu’on le veuille ou non. Or celle-ci va, ipso facto, faire disparaître le libellé actuel des dettes. En outre, pour le futur, tout nouvel endettement de l’État devra être consenti auprès de la Banque de France, comme c’était le cas avant 1973, et non plus auprès des banques.
Les arguments des défenseurs de l’euro ne sont donc pas pertinents. L’abandon de l’euro, en permettant la nécessaire dévaluation, est la condition sine qua non de la compétitivité des nations européennes. Là se trouve le seul moyen de réduire le chômage et d’assurer le redressement de l’économie, permettant en même temps de restaurer valablement l’équilibre budgétaire.
Paru dans Le Figaro le 21 novembre 2011