mercredi 16 novembre 2011

Qui sera le Papadémos français?

 Panagiotis Grigoriou - Tribune | Mardi 15 Novembre 2011

Après la tempête politique, le crachin et la neige s'abattent sur la Grèce. Selon Panagiotis Grigoriou, anthropologue sur place, les réactions du PS français, qui s'inquiète de l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir en Grèce, témoignent de son incompréhension de la situation grecque : l'arrivée d'un parti d'extrême droite au pouvoir est moins grave que la déréliction de la démocratie impliquée par l'arrivée au pouvoir de Papadémos.


Ce dimanche, nous avons vécu la deuxième vraie offensive de l'hiver sur Athènes et sur la Grèce, après celle de Papadémos, évidemment. Il tombe du crachin par un vent du nord très froid et la neige apparaît sur nos montagnes, une autre vraie misère. Nos bateaux et autres ferries, c'est à dire ceux de nos armateurs, sont restés amarrés au Pirée, navigation interdite jusqu'à ce soir minuit, au moins. Alors c'est la tempête, vent à 50 nœuds, la mer Égée se déchaine depuis hier. Comme la plupart des îles, Lesbos, Santorin ainsi que Mykonos, se trouvent coupées du continent, encore une fois, les insulaires ne peuvent qu'attendre. Sale temps vraiment, par les banquiers qui courent.

Yannis, un ami habitant l'ile de Chios, a téléphoné ce matin : « Tiens mon vieux, nous sommes heureux aujourd'hui ici sur l'archipel, les gens observent la tempête durant des heures, elle est forte, les pécheurs s'affolent pour leurs petites embarcations, enfin, c'est ainsi que nous avons presque oublié Papadémos et ces autres minables de l'extrême droite au gouvernement, et Samaras [chef du parti Nouvelle Démocratie, la droite] qui déclare à la presse, ayant des ministres au gouvernement qu'il ne co-gouverne pas, seulement il fait de la gestion transitoire, mais pour qui nous prennent-ils ces gens ? »

Nos radios et nos journaux ont également commenté ces autres vagues, soulevées cette fois par les récentes intempéries politiques. Il était question notamment des réactions du P.S. en France, lorsque ce dernier se déclare si inquiet par « l'entrée de l'extrême droite (LAOS) dans le gouvernement grec [ce qui] est pour les socialistes un choc. Nicolas Sarkozy a félicité le gouvernement Papadémos, les socialistes Français s'y refusent. Monsieur Karatzaféris, leader du LAOS, ancien responsable d'un mouvement de jeunesse soutenant les colonels grecs qui installèrent la dictature dans ce pays ne peut en rien aider le peuple grec à sortir de la crise. Voilà où mène l'Europe quand elle tourne le dos aux peuples, en imposant des austérités brutales et aveugles sans donner la possibilité et le temps pour le redressement et en s'immisçant dans le fonctionnement démocratique des États-membres. A la crise économique et sociale s'ajoute une crise politique et démocratique » (www.parti-socialiste.fr).

Une dictature bien plus sournoise que celle des colonels

Mais vu d'Athènes, on sait désormais que radio Paris – P.S. ment. Sur toute sa ligne Maginot idéologique. D'où les commentaires très amers d'une partie de notre presse, dans nos bistros et parfois entre nous. Un mauvais pressentiment alors nous assaille, à craindre que la France se trouve peut-être dans la même orchestration pré-electorale que nous, en 2009.

À l'époque, la propagande médiatique a tout fait pour que Papandréou se fasse élire, et il l'a été, avec dix points d'avance sur la droite. Le plan fut ainsi bien ficelé, le FMI et la gouvernance mondiale des banques s'apprêtèrent à lancer l'expérimentation de la meta-démocratie, commençant par notre pays, durant la période transitoire du petit Georges.

Ce plan préparait en réalité une dictature bien plus sournoise que celle des colonels. Après tout, jamais un gouvernement grec, y compris sous les colonels, n'a osé signer une telle convention de prêt international avec les « marchés » c'est à dire les banquiers... Préparé de surcroit, par un obscur cabinet privé d'avocats d'affaires, anglais nous semble-t-il, relevant du droit britannique.

Selon ses termes exacts, la Grèce abandonne officiellement et définitivement sa souveraineté vis à vis des ses créanciers. Cela veut tout simplement dire, que le pays, ne peut plus faire usage du droit international et ainsi plaider auprès des instances, telles l'ONU, au cas où on arrive à prouver que la dette est illégitime, même partiellement, ou encore non viable, voire dangereuse, mettant en péril la survie des citoyens.

Par cette même convention, tout bien appartenant à l'État grec, et si « on » veut par extension, tout bien privé, peut être saisi par les créanciers ou par les acheteurs potentiels de la dette. D'ailleurs, on prépare fébrilement à la Kommandatur de Bruxelles, un organisme issue de la xénocratie bancaire, se partageant et bradant ainsi par lots, les richesses et les biens du pays, hypothéquant par la même occasion la vie des générations futures.

Cette convention, dont le Mémorandum n'est que la partie annexe, n'a jamais été présentée au Parlement, ni soumise au vote des députés, et encore moins, devant l'abrogation des citoyens, par referendum, par exemple. Lorsque Papandréou nous a fait sa mauvaise blague du referendum ; la question potentielle serait alors celle du Mémorandum et non pas, la Convention du prêt entre la Grèce et la Troïka, c'est à dire les banquiers. Et comme on le sait maintenant, y compris cette question (sur le nouveau Mémorandum du 27 octobre), fut interdite par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy. Les deux dirigeants, ont alors dicté une autre question, « pour ou contre le maintien de la Grèce dans la zone Euro », et c'est ainsi que le poisson fut définitivement noyé, avec les pécheurs de la mer Égée, par la même occasion.

Les pouvoirs opaques de la Trilatérale


Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont également insisté sur « l'obligation incontournable » du gouvernement Papadémos : adopter sans aucune discussion le nouveau Mémorandum et vite. Ils ont même laissé entendre que c'est seulement après que le choix de la date des élections législatives peut être discuté. D'où essentiellement, le coté obscur de la nomination putschiste de Lucas Papadémos aux commandes. Mais hélas ce n'est pas tout.

Le journal Elefterotypia (12 novembre) rappelle à ce propos que Papadémos, tout comme Mario Monti le « sauveur » présumé et coopté chez nos sympathiques voisins, se trouvent parmi les membres éminents de la Commission trilatérale, une organisation créé en juillet 1973, à l’initiative de M. David Rockefeller, figure de proue du capitalisme américain.

Comme l'a déjà remarqué Olivier Boiral en novembre 2003 dans un article publié au Monde Diplomatique (« Trente ans d’une institution secrète Pouvoirs opaques de la Trilatérale ») : « la création de cette organisation opaque, où se côtoient à huis clos et à l’abri de toute compromission médiatique des dirigeants de multinationales, des banquiers, des hommes politiques, des experts de la politique internationale, ou encore des universitaires, coïncide à ce moment avec une période d’incertitude et de turbulence dans la politique mondiale. La gouvernance de l’économie internationale semble échapper aux élites des pays riches, les forces de gauche paraissent de plus en plus actives, en particulier en Europe, et l’interconnexion croissante des enjeux économiques appelle une coopération plus étroite entre les grandes puissances. La Trilatérale va rapidement s’imposer comme un des principaux instruments de cette concertation, soucieuse à la fois de protéger les intérêts des multinationales et d’«éclairer» par ses analyses les décisions des dirigeants politiques (…).
L’élite rassemblée au sein de cette institution fort peu démocratique et que la démocratie inquiète dès lors que des groupes autrefois silencieux s’en mêlent va s’employer à définir les critères d’une «bonne gouvernance» internationale. Elle véhicule un idéal platonicien d’ordre et de supervision, assuré par une classe privilégiée de technocrates qui place son expertise et son expérience au-dessus des revendications profanes des simples citoyens (…) Ces interventions s’articulent autour de quelques idées fondatrices qui ont été largement relayées par le politique. La première est la nécessité d’un
« nouvel ordre international ». Le cadre national serait trop étroit pour traiter des grands enjeux mondiaux dont la « complexité » et l’« interdépendance » sont sans cesse réaffirmées. Une telle analyse justifie et légitime les activités de la Commission, à la fois observatoire privilégié et contre-maître de cette nouvelle architecture internationale. La seconde idée fondatrice, qui découle de la première, est le rôle tutélaire des pays de la triade, en particulier des États-Unis, dans la réforme du système international. Les pays riches sont invités à s’exprimer d’une seule voix et à unir leurs efforts dans une mission destinée à promouvoir la « stabilité » de la planète grâce à la généralisation du modèle économique dominant (...).
L’hégémonie des démocraties libérales conforte la foi dans les vertus de la mondialisation et de la libéralisation des économies qui s’exprime dans le discours de la trilatérale. La mondialisation financière et le développement des échanges internationaux seraient au service du progrès et de l’amélioration des conditions de vie du plus grand nombre. Or elles supposent la remise en cause des souverainetés nationales et la suppression des mesures protectionnistes. Ce credo néolibéral est souvent au centre des débats. (...) Loin d’être un
« vieux serpent de mer » qui referait surface au ravissement de quelques adeptes d’ésotérisme et de « théorie du complot », la Commission trilatérale est une institution bien établie, dont la discrétion facilite la collusion entre responsables politiques et grandes entreprises. Ainsi se dessine la trame d’un pouvoir diffus, opaque, presque insaisissable, qui tisse ses liens à travers des clubs fermés et des rencontres internationales dont le forum de Davos représente l’expression la plus ostentatoire. Dans ces lieux de rencontres, d’échanges, de tractations gravitent les mêmes protagonistes, s’élaborent les analyses et les compromis qui précèdent souvent les grandes décisions. La Commission trilatérale est une des pièces de cet échiquier polymorphe. Elle consolide l’alliance entre le pouvoir des multinationales, de la finance et de la politique, grâce à un réseau d’influences dont les ramifications s’étendent aux principaux secteurs de la société ».

François Hollande sur le chemin de George Papandréou

En 2011 donc, les membres de la Tripartite prennent ouvertement les commandes en Europe, avec Papademos et Monti. En Grèce, et peut-être bien en Italie, on arrive cependant à mieux cerner la duperie. En France, pas encore. Le P.S. et François Hollande prononcent haut et fort exactement les mêmes jolies paroles que Papandréou en 2009, sur les méfaits des exagérations du capitalisme spéculateur, alors qu'en réalité, ils lui sont depuis longtemps les serviteurs. Voila ce que nous nous disons ici à Athènes, y compris dans certains de nos médias, tant que la liberté d'expression reste encore possible.

Ah oui, notre extrême droite de Karatzaféris, leader du LAOS et de ses ministres au cabinet Papadémos, est à ce titre une double parodie politique car, non seulement elle remâche sans cesse les stéréotypes les plus simplistes et idiots du nationalisme, mais ce qui est plus grave encore, participant à la gouvernance des banquiers, elle abandonne par la force des actes, toute idée de souveraineté nationale, idée néanmoins habituelle de l'armature idéologique de l'extrême droite. Une fausse extrême droite alors ?

En tout cas, les socialistes en France feraient mieux de se montrer choqués par eux mêmes d'abord, bien malheureusement pour tout le peuple français et accessoirement pour sa gauche, avec ou sans guillemets. J'ose même jouer les Cassandre, prédisant une variante du scenario grec, italien ou portugais, en France, après les élections de 2012, si François Hollande est élu, évidemment.

On expliquera alors aux citoyens, que la dette du pays est hélas implacable, obligeant à des mesures beaucoup plus radicales que celles de Nicolas Sarkozy, le temps que l'économie reprenne le chemin de la croissance et que finalement il n'y a pas d'autre choix que les plans d'austérité jusqu'en 2058. Puis un « sauveur » banquier ou « technocrate », prendra les mauvaises commandes des mains du P.S., et sans transition, comme ont dit. À moins, qu'une figure politique, membre également de la Commission trilatérale soit propulsée au pouvoir. Elisabeth Guigou, par exemple (voir la Trilateral Commission Membership List, disponible sur le site de l'organisation ).

Et pour bientôt, la houle de la gouvernance mondiale des banquiers, suivant le mouvement ondulatoire de la surface des dettes? Pour paraphraser le grand écrivain enterré dans l'Indre, être informé de tout et condamné ainsi à ne rien comprendre, tel est le sort des électeurs,  on se demande pourtant si c'est bien vrai ...

Marianne 15 novembre 2011

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